à vrai dire, il ne se rappelait plus comment tout avait commencé. il avait beau faire violence à son esprit, il ne faisait face qu'à des portes fermées, des bribes de souvenirs aléatoires qui s'échappaient de l'infime interstice, mais impossible de reconstituer la chronologie proprement. d'où la première explosion avait-elle grondé ? qui l'avait lancée ? il avait entendu le nom des livanov. les déchus, les révolutionnaires. il n'avait pas vu leur visage, dans la mêlée, mais il en était certain: les livanov étaient encore vivants, d'autres maitres de l'air avec eux. c'était donc ça, le pressentiment obscur qu'il avait eu avant le commencement même de l'événement, augure renforcé par la révélation de léviathan sur une allégeance abstraite, dite rebelle. forcément. l'avènement de son frère, le rassemblement massif au coeur d'aléria. ils auraient dû se douter qu'une embûche allait se mettre au travers de leur chemin. mais ça ? à ce point ? comment avaient-ils pu déjouer la sécurité déployée pour l'occasion ? comment ? thaddeus recouvra ses sens, sa respiration s'écrasant contre sa cage thoracique, les battements de son coeur battant si fort contre ses côtes que l'écho remonta jusqu'à ses tempes. le bourdonnement sifflant à ses tympans lui déroba une grimace de douleur, il papillonna des cils et ses prunelles célestes parcoururent l'arène dans sa généralité. murtagh avait disparu de leur estrade assignée. moïra et rhéa s'évaporait aux bras de soldats. les spectateurs fuyaient à droite à gauche, dans le chaos, et les éléments s'élevaient, danse macabre, hymne à la destruction. toutefois, le petit prince n'eut pas le loisir de s'attarder davantage sur les détails de la situation, ni de s'inquiéter du sort de sa famille, de sa nation. les rugissements alertes de kappa et la voix lointaine d'un homme hurlant
"monsieur bernstein, il faut partir !" l'arrachèrent de sa litanie, son sang ne fit qu'un tour dans ses veines bouillantes, et il se rua jusqu'aux escaliers. son daemon le suivait de près, prête à planter ses crocs là où quiconque oserait s'en prendre à thaddeus, et ils rejoignirent les longs corridors menant à la zone de combat. le sable et la poussière s'étaient engouffrés dans les tunnels, il suivit le courant, chahuté par toutes ces âmes en panique. des corps gisaient déjà au sol, inconscients ou bien endormis à jamais, il n'aurait su le dire. malgré tout, thad gardait la tête froide, les traits fermés, tirés, figés sur une expression sévère et stricte. il cherchait la sortie des yeux, concentré. ça allait le faire, pas vrai ? il quitterait la bataille, rejoindrait le manoir familial pour s'assurer que tout allait bien du côté des bernstein.
tu ne vas tout de même pas partir sans te battre, thaddeus ? la voix de son défunt frère amadeus raisonna dans son crâne, le garçon s'arrêta net dans sa course, qu'importaient les cris qui déchiraient l'air derrière lui. ce n'était
vraiment pas le moment. mais il devait le laisser s'exprimer, c'était la moindre des choses.
ses paumes s'enflammèrent de gerbes bleues sans qu'il ne l'ait décidé, une sueur froide s'empara de lui, et son immobilité commença à se fêler. il tremblait. pas de peur, non. seulement parce qu'il n'arrivait pas à tempérer ses flammes et que de sentir son talent, son pouvoir lui filer des muscles, des doigts, il ne le supportait pas, incarnation de son jumeau ou bien pas. les jets prenaient de l'ampleur. s'élevaient, manquaient de blesser les malheureux qui s'approchaient de trop près. kappa le poussait, tentait de le faire se ressaisir, mais son cerveau s'était gelé. il était lâche, thaddeus. il faisait tout pour que son frère vive à ses côtés, mais dès que celui-ci se manifestait, reprenait ses droits de façon un peu brutale, il ne savait plus quoi faire. thaddeus, il s'était vanté, toute sa scolarité durant, d'être un des meilleurs maitres de sa promotion -non sans mérite, au combat, il excellait, mais l'idée d'ôter une vie, de donner le coup de grâce, pire, sans le vouloir, ça lui piquait le coeur comme un clou qu'on enfonce au marteau. la naïveté du dernier de la portée, celui couvé, depuis toujours exempt de sang dégoulinant des mains. amadeus aurait peut-être été plus digne que lui ? peut-être que c'était lui, qui aurait dû vivre, et thaddeus mourir ?
ça suffit. une des flammes s'emballa au creux de sa paume, dévora la chair du bras d'une femme qui passait par là. elle s'écroula de douleur. thad eut un bref sursaut, suivit d'un mouvement de recul.
oh mon dieu. sans réfléchir, il reprit sa fuite, poussa hors de son chemin tous ceux qui s'y trouvaient, les mains jointes, puis bifurqua de la voie principale dès qu'il en eut l'occasion. il se retrouva seul dans une espèce de renfoncement creusée dans un mur, il se laissa glisser contre celui-ci, tentant de reprendre le contrôle sur tout, son enveloppe charnelle et au delà. il n'était probablement pas en sécurité ici, mais les innocents dehors ne l'étaient sans doute pas non plus avec lui parmi eux, pas dans son état actuel.
"amadeus, je suis désolé, là j'ai besoin de toutes les commandes..." son souffle était saccadé. son feu bleu ne s'éteignit pas. au contraire, il redoubla de plus belle, si bien qu'il dut éloigner, le plus possible, ses paumes brûlantes de son visage. kappa s'assit à ses pieds, tentant d'être réconfortante, quand bien même elle détestait le cadeau empoisonné dont son alter ego avait hérité et la façon laxiste dont il le traitait. si seulement son père avait été là. il aurait su comment s'y prendre pour que le don et son hôte coopèrent. il ne lui restait plus que son nouveau précepteur, celui qui avait eu pour mission de garder un oeil sur lui, mais où était-il, alors, quand son poulain avait le plus besoin de lui ?
"aegnor ! aegnor !" idiot. comment pouvait-il espérer que targarov l'entende, dans le brouhaha ambiant ?
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